Philippe Faure-Brac : de l’importance du nez dans le vin
Philippe Faure-Brac, la figure emblématique de l’univers du vin, sacré le Meilleur Sommelier du Monde 1992, Président de l’Association de la Sommellerie Française nous parle du vin, de la mémoire olfactive et de son métier autour des cinq accords mets et vins dans son restaurant le Bistrot du Sommelier à Paris.
Quelle est l’importance du nez dans l’appréciation du vin ?
La dégustation du vin fait appel à tous les sens : la vue, le toucher, le goût, les parfums, même l’ouïe. Aujourd’hui, le nez est au centre de cette expérience multi-sensorielle même si longtemps on l’ignorait presque. Dans la culture française de dégustation du vin, on parlait surtout de la texture de la bouche, à savoir des saveurs, de la longueur et de l’équilibre. Ce n’est qu’au début des années 80 que la révolution a eu lieu et on a commencé à parler du nez et des arômes de façon différente. Cela fait à peine 30 ans !
Avant on ignorait complètement l’aspect olfactif ?
Non. Les arômes ressentis en rétro-olfaction faisaient toujours partie de l’analyse du vin même s’il est beaucoup moins évident d’analyser les subtilités aromatiques en bouche qu’au nez. C’est, notamment, Jean Lenoir et son livre Le Nez du vin qui étaient les pionniers de cette démarche de l’étude des arômes au nez. Ensuite, les verriers y ont contribué en travaillant pendant plusieurs décennies sur les verres de dégustation qui mettent en valeur les parfums. C’est une révolution récente et cela va bien dans le sens de l’histoire de dire que la dimension olfactive du vin est très importante. Elle est une source à la fois d’analyse et de plaisir et montre que la dimension technique et émotionnel cohabitent.
Quel rôle jouent les arômes dans le choix du vin ?
Choisir un vin est une démarche personnelle où plusieurs éléments conscients et inconscients font appel à notre culture, notre histoire et nos références. Je travaille avec les neuroscientifiques qui nous aident à mieux comprendre les mécanismes du cerveau dans le cadre d’une dégustation. En effet, un certain nombre d’éléments influencent inconsciemment notre opinion sur le vin. Par exemple, la forme de bouteille qui nous suggère de manière inconsciente le type de vin. Il en va de même pour l’étiquette qui suscite soit une émotion d’attirance soit de rejet. Quant au bouchon, le liège est plus rassurant que le plastique et indiquera la qualité du vin. Même si on a le même vin dans deux bouteilles différentes notre cerveau ne les analyse pas de même manière ! Ensuite vient la forme du verre. Le même vin dans un verre banal n’a pas le même goût. Tous ces éléments influencent vraiment notre appréciation du vin. Quant aux parfums, notre sensibilité aux molécules aromatiques diffère en fonction de notre culture, de nos souvenirs et du référentiel personnel.
Quels sont vos souvenirs olfactifs en matière de vin ?
Le tout premier cépage que j’ai goûté dans ma vie était le Muscat, un Beaumes-de-Venise. Ça m’a marqué pour toute la vie ! Dès que je sens un muscat, j’ai l’impression de croquer un grain de raisin. La pêche, la rose... c’est ça le muscat ! Toutefois, mon cépage de référence c’est le Syrah qui donne de très jolies réalisations dans le nord des Côtes du Rhône, en particulier sur les granites de la Côte Rôtie ou la colline d’Hermitage. C’est un cépage marqué par une expression fuitée et poivrée qui reste son bon repère gustatif. J’aime également le Pinot Noir caractérisé par sa palette fruitée exceptionnelle et une très grande élégance. Les grands Pinots Noirs donnent des arômes épicés...ils nous invitent olfactivement à une promenade sur un marché oriental.
Et le vin qui vous a surpris olfactivement ?
Il y en a beaucoup ! récemment, j’ai ouvert une bouteille de Porto de 1848. Les parfums qui en émanaient étaient incroyables ! C’étaient à la fois le fruit dans sa dimension confite et la concentration qui rappelait un peu le vinaigre balsamique. Et plus on attendait, plus le vin racontait des histoires. Je trouve que tout l’intérêt de la dimension aromatique est de la partager avec les gens avec qui on déguste. Toutefois, souvent lors des dégustations, il ne faut pas s’arrêter aux arômes car ils fluctuent. C’est la texture qui reste le fil conducteur de l’histoire du vin. Les parfums permettent de dater l’évolution du vin, mais ils sont très évolutifs et volatils et il faut relativiser leur importance dans la dégustation du vin.
Vous avez fêté le mois dernier 25 ans du titre du Meilleur Sommelier du Monde. Comment devient-on un sommelier ?
Il faut tout d’abord former son goût pour ensuite le compléter avec la connaissance des vins. En tout cas c’est mon parcours. Souvent les sommeliers sont cuisiniers au départ. C’est un métier lié à la restauration et il est nécessaire d’être attentif à la nourriture. Les accords mets et vins, la gestion de la cave sont une partie très visible du travail du sommelier. Un autre volet du travail du sommelier consiste à savoir adapter le vin à la personne. Un confrère sommelier au Ritz Paris me disait ainsi : je m’installe au bout du couloir du Palace pour attendre et observer les clients. Il faisait attention à leur manière de marcher, la rapidité à laquelle ils avançaient, leur style vestimentaire, les vitrines devant lesquelles ils s’arrêtaient. De cette manière-là, il dressait un profil œnologique du client et lui suggérait le vin adapté. Et...il y arrivait presque toujours ! Ainsi, il est tout à fait possible d’adapter un vin à une personne en se basant sur nos ressentis. Un bon sommelier observe, essaye de percevoir des choses pour rendre les gens heureux.
Le Bistrot du Sommelier - 97, boulevard Haussmann - 75008 Paris